Au cœur du programme militaire chinois sur les ballons

Le dirigeable chinois AS700 décolle pour un vol d'essai à l'aéroport de Jingmen Zhanghe dans la province du Hubei, le 16 septembre 2022.
Photo: Shen Ling/VCG via Getty Images
Nous sommes en août 2019. Un éminent chercheur chinois en aérospatiale suit attentivement la trajectoire d’un dirigeable sans pilote qui traverse le monde.
Sur une carte qui trace sa trajectoire en temps réel, le dirigeable blanc apparaît sous la forme d’un petit point rouge qui clignote. En réalité, la taille du bâtiment est impressionnante. Il pèse plusieurs tonnes et mesure 100 mètres de long environ, soit près de 25 mètres de plus qu’un Boeing 747‑8, l’avion de ligne le plus long au monde.
« Regardez, ici c’est l’Amérique ! » lance celui qui a conçu l’aéronef, le professeur Wu Zhe, au Nanfang Daily. Il pointe avec enthousiasme la ligne rouge marquant le voyage du dirigeable qui survole l’océan Pacifique. Le ballon se déplace à environ 25.000 mètres dans les airs. Le chercheur explique qu’il est en train de battre un record mondial.
Nommé « Cloud Chaser », son dirigeable a survolé depuis bientôt un mois trois océans et trois continents. Dans quelques jours, sa mission sera terminée.
Le Pr Wu Zhe, chercheur chevronné en aérospatiale, joue un rôle central dans ce qu’il appelle la « la course vers l’espace proche ». C’est ainsi qu’il qualifie l’exploration par le régime chinois de l’atmosphère entre 20.000 et 100.000 mètres de hauteur au‑dessus de la Terre. Cette zone, trop haute pour les avions à réaction mais trop basse pour les satellites, présente de nombreux intérêts militaires pour le régime.
Bien qu’il existe depuis des décennies, le programme de ballons militaires du régime n’a été mis en lumière qu’assez récemment. Lorsque les États‑Unis ont abattu un ballon de surveillance à haute altitude qui traversait le pays depuis une semaine en survolant des sites militaires sensibles. Ce ballon, de la taille de trois bus environ, était nettement plus petit que le « Cloud Chaser ».


Spécialiste de la conception d’avions, Wu Zhe a contribué au développement des avions de combat et de la technologie furtive du régime chinois au cours de ses trente ans de carrière dans le domaine aérospatial. Il a remporté au moins un prix pour sa contribution à l’armée.
Il a été vice‑président de l’université Beihang de Pékin, une prestigieuse école d’aéronautique, jusqu’à ce qu’il démissionne de ce titre de plein gré pour se consacrer à l’enseignement et à la recherche en 2004. Il a également fait partie du comité consultatif scientifique du Département général de l’armement de l’Armée populaire de libération (APL), un organe aujourd’hui dissout qui était chargé d’équiper l’armée chinoise.

L’université Beihang de Pékin dont il a été le vice‑président fait partie d’une liste noire américaine, et les États‑Unis doivent s’abstenir de tout échange avec elle. Il en va de même avec l’Institut de technologie de Harbin, alma mater de Wu Zhe surnommé le « MIT chinois ». L’université Beihang figure sur cette liste noire pour son aide dans le développement de systèmes de fusées militaires et de véhicules aériens sans pilote. L’institut de technologie de Harbin est sur la liste noire pour avoir détourner des technologies américaines afin de soutenir les programmes de missiles chinois.
Un « tueur silencieux »
Le Parti communiste chinois (PCC) est en lice depuis longtemps pour dominer l’espace proche, que les scientifiques chinois considèrent comme une région propice à diverses applications, des ballons à haute altitude aux missiles hypersoniques.
De là‑haut, il existe une mine d’informations qu’un aérostat, équipé d’un système de surveillance électronique, peut intercepter et transformer en atout pour le renseignement.
« Si vous faites voler un ballon à 30.000 mètres d’altitude, vous avez une visibilité au sol de plusieurs centaines de kilomètres sur plusieurs États, car il est très haut », déclare Art Thompson, cofondateur de la société aérospatiale californienne Sage Cheshire Aerospace.


Selon un article paru dans les médias chinois, dès les années 1970, l’Académie des sciences chinoise s’est efforcée d’explorer les capacités des ballons à haute altitude. Ne disposant pas d’ordinateurs, les chercheurs chinois se sont inspirés des livres allemands et japonais sur l’aérospatiale et utilisaient du papier journal pour assembler des prototypes.
Ils ont finalement réussi à créer un ballon à hélium avec une nacelle en aluminium, de la taille d’une montgolfière classique. L’équipe l’a triomphalement nommé HAPI et l’a fait voler dans la stratosphère en 1983 pour observer les signaux d’une étoile à neutrons.
En 2021 deux contributeurs réguliers du Quotidien de l’APL, le journal de l’armée chinoise, écrivent un article sur le sujet des dirigeables. Selon eux, les aérostats, une technologie utilisée dès la fin du XVIIIe siècle par les Français à des fins de surveillance, ont une grande valeur stratégique.
Pour commencer ils sont moins coûteux et plus faciles à manœuvrer que les avions ou les satellites. De plus, ils peuvent transporter des charges assez lourdes et surveiller une zone plus large. Par ailleurs, ils sont plus difficiles à détecter. En outre, ils consomment moins d’énergie et peuvent donc flâner dans une zone cible pendant une période prolongée. Enfin, et surtout, ils ne sont généralement pas repérés par les radars. Soit ils échappent au système de défense aérien ennemi, soit il sont considérés comme des objets volant non identifiés.
Comprenant ce dernier point, les responsables de l’administration Biden ont déclaré avoir détecté rétroactivement trois ballons espions chinois ayant survolé les États‑Unis pendant l’administration Trump, et un autre après l’entrée en fonction de Biden.
Taïwan et le Japon ont depuis identifié plusieurs incursions suspectes de ballons chinois ces dernières années et menacent désormais d’abattre tout objet suspect dans leur espace aérien.


« À l’avenir, les ballons pourraient devenir comme des sous‑marins en haute mer : des tueurs silencieux associés à la panique », concluent les deux auteurs.
De telles déclarations n’ont rien d’exagéré, selon Art Thompson. Paradoxalement, la lenteur d’un ballon, lorsqu’il est bien utilisé, constitue sa force.
« Il est pratiquement invisible sur les radars », explique Art Thompson. Alors que les gens s’inquiètent de missiles intercontinentaux qui peuvent survoler la moitié du globe en quelques minutes, un ballon peut discrètement transporter un missile sans être détecté.

« C’est un scénario effrayant. C’est drôle qu’une des plus anciennes technologies soit potentiellement si dangereuse. »

Depuis le lancement de HAPI dans les années 1980, les scientifiques chinois ont avancé à pas de géant.
En 2017, ils ont envoyé une tortue à 21.000 mètres au‑dessus de la région du nord‑ouest du Xinjiang. C’est la première fois qu’un aérostat permettait à un animal d’entrer dans la stratosphère.
L’année suivante, un ballon à haute altitude larguait trois missiles hypersoniques dans le désert de Gobi, en Mongolie intérieure.
L’année dernière, un ballon a amené une fusée à plus de 25.000 mètres au‑dessus de la Terre, faisant de la Chine le premier pays à expérimenter de telles techniques, selon les médias d’État.
Concernant le ballon espion survolant les États‑Unis, le régime chinois a affirmé qu’il s’agissait d’un dirigeable civil utilisé à des fins météorologiques. Nous savons cependant que les responsables de la météorologie en Chine collaborent étroitement avec l’armée.

Pendant toutes ces années, la fabrication des ballons a prospéré.
Zhuzhou Rubber Research & Design Institute, situé dans la province du Hunan au sud de la Chine est une filiale du géant agrochimique ChemChina. ChemChina figure sur une liste noire américaine en raison de ses liens avec l’armée. Selon les médias chinois, Zhuzhou Rubber est le fournisseur attitré du bureau météorologique national. L’entreprise produit les trois quarts des ballons utilisés dans les stations météorologiques du pays.
Elle est parfois décrite comme un « champion camouflé made in China ». Elle était endettée de plusieurs millions de dollars au début des années 2000. Puis elle s’est lancée dans la fabrication de ballons. Elle est ensuite devenue un leader du secteur. Selon le site Web d’un gouvernement local, elle joue désormais un rôle central pour définir la norme nationale en matière de ballons météorologiques et possède une trentaine de brevets à son actif.
En septembre 2017, Zhuzhou Rubber a investi 30 millions de yuans (4, 1 millions d’euros) dans un laboratoire axé sur les ballons‑sondes dans l’espace proche. Selon l’entreprise, ces recherches visent à assurer « la sécurité des défenses nationales sur le front de l’espace proche ».
Finalement, le Département général de l’armement de l’APL a désigné Zhuzhou Rubber pour concevoir le ballon assurant le retour de Chang’e 5, le vaisseau spatial utilisé pour la cinquième mission d’exploration lunaire de la Chine entreprise en 2020.

Pour les Chinois, ces ballons sont des outils peu coûteux pour tester des composants d’équipements militaires, explique Art Thompson.
« Ils peuvent examiner une pièce électronique particulière qu’ils veulent intégrer dans un missile. Va‑t‑elle résister aux températures et à l’altitude ? Va‑t‑elle transmettre efficacement ? Ils peuvent donc prendre un composant prévu pour être intégré plus tard à une pièce d’armement, et le faire voler en altitude sous un ballon pour voir comment il se comporte. »
« La rapidité chinoise »
Zhuzhou Rubber n’est qu’un acteur parmi d’autres dans ce domaine. Dongguan Lingkong Remote Sensing Technology a revendiqué des dizaines de brevets liés aux aéronefs stratosphériques, notamment un ballon stratosphérique manœuvrable et un matériau d’aérostat léger à haute résistance. Wu Zhe est le commissaire aux comptes de Dongguan Lingkong et le directeur de l’Institut de recherche de la ville de Dongguan de l’Université Beihang, qui possède la société.
China Electronics Technology Group Corp. (CETC), une énorme entreprise d’État dont le 48e institut de recherche a été frappé de sanctions américaines à la suite de l’incident du ballon, s’est un jour attribué le mérite d’avoir aidé la Chine à combler le fossé technologique dans le domaine des aérostats.
En 2010, l’entreprise a présenté un grand dirigeable blanc. Selon un article paru dans les médias chinois et republié sur le site Web de l’Administration nationale des sciences, grâce à son équipement de surveillance haute définition qui balaie le sol en permanence, il pouvait repérer des objets aussi petits qu’un livre sur une zone de plus de 160 km².
Leur dernier‑né, le ballon JY‑400 que le 38e institut de recherche du CTEC a dévoilé en 2021, peut répondre aux besoins civils et militaires, avec la capacité d’emporter du matériel pour détecter des missiles, écouter et interférer avec les communications, ont indiqué les médias chinois. Ces articles citent les médias russes qui expriment leur surprise de voir leur pays dépassé par la Chine à un rythme aussi rapide, ce qu’ils appellent « la rapidité chinoise ».
Art Thompson a été frappé par la ressemblance visuelle du ballon JY‑400 avec une conception militaire américaine, appelée « Joint Land Attack Cruise Missile Defense Elevated Netted Sensor System ». [Système de capteurs en réseau pour la défense conjointe contre les attaques terrestres et les missiles de croisière]
Ce système est un programme de l’armée conçu en 1998 par Raytheon qui assure une surveillance à 360 degrés pour suivre les missiles de croisière volant à basse altitude, les aéronefs sans pilote et d’autres menaces. Un radar à ouverture synthétique (SAR) est fixé sous le dirigeable. L’armée américaine a commencé à investir dans le projet vers les années 2010. Elle a finalement arrêté de le financer en 2017, deux ans après qu’un des deux dirigeables du programme se soit détaché et ait provoqué des pannes de courant massives en Pennsylvanie.


Selon lui, il est possible que la Chine ait copié les plans des dirigeables américains et qu’elle ait adapté certaines parties, comme les matériaux et la taille, à ses besoins.
Raytheon et CETC n’ont pas répondu aux questions d’Epoch Times.
Le dirigeable Cloud Chaser de Wu Zhe a été lancé près de Hainan, la province insulaire située à l’extrémité sud de la Chine que les responsables américains ont identifiée comme une base pour les opérations des ballons de surveillance chinois.
Compte tenu du vaste programme d’espionnage de la Chine, les entités sanctionnées par les États‑Unis ne représentent que « la partie émergée de l’iceberg », explique Su Tze‑yun à Epoch Times. Su Tze‑yun est le directeur de l’Institut de recherche sur la défense et la sécurité nationales à Taïwan.
Selon lui, les défis ne manquent pas pour les nations occidentales qui cherchent à contrer cette opération secrète. Le régime, note‑t‑il, peut facilement utiliser des sociétés‑écrans pour voler ou importer des technologies occidentales sans se faire remarquer. Dans le cadre de la fusion civilo‑militaire, chaque entreprise privée peut participer indirectement au développement militaire du régime, ce qui rend plus difficile de tracer la ligne et d’imposer des sanctions. Mais cela renforce au moins la nécessité d’empêcher les entités chinoises d’acquérir des entreprises américaines.
Si les pays occidentaux développent également la technologie des ballons, ce qui les différencie de la Chine, c’est son autoritarisme, poursuit le chercheur.
« Les pays démocratiques sont tenus par la loi de ne pas empiéter sur l’espace aérien des autres nations. Par contre, la même technologie entre les mains du Parti communiste chinois devient une menace. »
Luo Ya et Dorothy Li ont contribué à cet article.

Eva Fu est rédactrice pour Epoch Times à New York spécialisée dans les relations entre les États-Unis et la Chine, la liberté religieuse et les droits de l'homme.
Articles actuels de l’auteur
28 octobre 2025
Derrière les portes closes du PCC, un Xi Jinping affaibli









